« Mon père a disparu comme ça. On n'a plus jamais eu aucune nouvelle de lui. »

NAKAHARA Hiroshi est un homme mûr de 48 ans qui ne vit que pour son travail. Marié et père de deux filles, il correspond à peu de choses près à l’image commune du salaryman japonais, habitué à la routine métro-boulot-dodo. Mais lors d’un voyage d’affaire, Hiroshi manque une correspondance et se retrouve par le plus grand des hasards dans sa ville natale. Suite à sa mégarde, il dispose de quelques heures avant de pouvoir repartir et décide de retourner sur la tombe de sa mère qu’il n’a pas visité depuis plusieurs années. C’est alors qu’Hiroshi entame son voyage dans le temps et revient à l’époque de ses 14 ans, son esprit d’adulte dans son corps d’adolescent.

Si l’intrigue de Quartier Lointain s’arrêtait là, on pourrait se demander pourquoi TANIGUCHI Jirô, l’auteur, a remporté l’Alph’Art du meilleur scénario au Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême en 2003 pour le premier tome de ce manga qui n’en compte que deux. Le fond de l’histoire est bien évidemment beaucoup plus dense. Arrivé à l’époque de ses 14 ans, Hiroshi va tout d’abord s’acclimater à ce nouvel état de fait. Connaître son passé à l’avance n’est pas forcément une sinécure. Cependant, dès le début de l’histoire, on apprend que le père d’Hiroshi a quitté le domicile familial sans laisser de trace lors de l’année des 14 ans de son fils. Les raisons de son départ sont restées un véritable mystère pour le jeune homme. Et il va profiter de cette nouvelle chance pour comprendre ce geste et éventuellement l’empêcher. TANIGUCHI nous entraîne alors dans une quête de la vérité au cours de laquelle Hiroshi découvrira le passé de sa famille et les raisons de sa venue au monde.

Faire remonter à la surface des souvenirs familiaux parfois difficiles entraîne fatalement une remise en question du héros. D’autant plus qu’Hiroshi dispose encore de son âme d’adulte, avec tout le recul sur la vie que cela implique. Les conséquences n’en seront que plus importantes et toucheront les fondements même de son mode de vie. En toute logique, et sans vous révéler la fin de l’histoire, Hiroshi ressortira grandement changé de cette aventure.

Parus chez Casterman dans la collection « écritures », les deux volumes de Quartier Lointain bénéficient d’une édition somptueuse. L’adaptation de Frédéric BOILET rend hommage au travail de TANIGUCHI Jirô. Un seul regret de puriste, le passage au sens de lecture occidental. L’auteur a bénéficié depuis deux ans d’une représentation très importante chez divers éditeurs dont Casterman et Kana, avec d’autres titres comme Le sommet des dieux, Au temps de Botchan ou encore Le journal de mon père. Cependant, il est dommage de voir que des oeuvres de cette qualité restent en marge du marché français car estampillées de la flamme « manga alternatif ». Cette distinction, effective sur le marché japonais, est-elle pour autant nécessaire en France, où le lectorat et les procédés éditoriaux sont sensiblement différents ?

Chronique publiée le 10 avril 2005
par Christophe SAUVEUR